Le 17 juin dernier, le Club a organisé une table ronde sur la communication en temps de crise. Cet événement, animé par Camille Rousée et Cédric Lang-Roth, administrateurs du Club, a réuni des acteurs clés de la gestion des situations d’urgence en Seine-Maritime.

L’objectif était clair : explorer les rouages de la coordination et de la transparence entre institutions et médias, un enjeu plus que jamais crucial dans notre société hyperconnectée.

Les intervenants, parmi lesquels Jean-Benoît Albertini, Préfet de la région Normandie et de la Seine-Maritime, Nicolas Bouferguène, Directeur Interdépartemental de la Police nationale 76, le Lieutenant-Colonel Thomy Chauvel du SDIS 76, le Commandant Éric Delain de la gendarmerie de Normandie, et Thierry Leprou, expert en communication de crise de l’agence Partenaires d’Avenir, ont offert une plongée sans détour dans les réalités du terrain. Leurs échanges ont mis en lumière les complexités et les meilleures pratiques pour concilier le droit à l’information du public avec les impératifs opérationnels et judiciaires.

La complexité de la crise et la nécessité d’une communication maîtrisée

Jean-Benoît Albertini a ouvert les débats en rappelant le contexte particulier de la Normandie : “Région de grands événements festifs, nous sommes organisés en gestion de crise, même s’il n’y a pas de crise. Ce sont des situations critiques qui nécessitent une préparation constante.” L’action du Préfet de département est alors centrale, agissant sous la coordination du Préfet de la zone de défense Ouest (le Préfet de Bretagne) lorsque la situation prend une dimension nationale et requiert des renforts humains, techniques et réflexifs.

La multiplication des sources d’information, notamment via les réseaux sociaux, rend la communication en crise d’autant plus délicate. La responsabilité du représentant de l’État est forte : il doit être encore plus clair et précis dans les messages transmis. La capacité à produire une information progressive, certifiée et variée est primordiale pour éviter le chaos informationnel et la propagation de fausses nouvelles. L’association VISOV, qui traque les tensions sur les réseaux sociaux, illustre bien cette nouvelle donne.

Identifier le bon interlocuteur et l’importance de la fiabilité

Une question centrale a émergé : comment identifier le meilleur interlocuteur en cas de crise ? La réponse, complexe, dépend du type et du lieu de l’incident. Il est souvent nécessaire de “lancer plusieurs pierres” pour vérifier les différentes sources et s’assurer de la légitimité des prises de parole. L’exemple de l’incendie de Bolloré, où l’absence initiale d’un représentant du SDIS identifiable pour centraliser la communication a posé problème, a conduit à la mise en place d’officiers dédiés à l’information réactive sur le terrain par le SDIS 76, avec dix sapeurs formés à cette mission depuis 2023.

Pour la Police et la Gendarmerie, services “menants” ou “concourants” selon la nature de la crise (attentat, incendie, enquête…), la priorité est donnée à la fiabilité de l’information par rapport à la rapidité. Parler ne doit jamais compromettre les actions opérationnelles. Ces forces sont rarement les plus légitimes à prendre la parole sans l’accord du préfet ou du procureur, mais elles sont autorisées à présenter les actions en cours.

La coordination, un pilier indispensable

Une leçon majeure de cette soirée fut l’immense nécessité de coordonner la communication. Les services de communication des différentes structures travaillent désormais de concert, organisant des conférences de presse conjointes. Cela peut paraître plus lent, mais cette approche garantit la diffusion d’informations fiables et évite le “damage control” ultérieur. L’exemple de l’incendie des hangars agricoles, avec une communication conjointe du préfet de Dieppe, du procureur de Dieppe et de la gendarmerie, en est une parfaite illustration.

Le Centre Opérationnel Départemental (COD), activé par le préfet, est un exemple concret de cette coordination. Regroupant les représentants de toutes les entités impliquées dans la gestion d’une crise, il s’est activé 28 jours en 2023 (dont 8 jours d’exercice et 12 pour l’Armada) et 34 jours en 2024, soulignant l’intensité de cette préparation.

Thierry Leprou a insisté sur l’importance de la “traduction” de la communication pour qu’elle ne devienne pas une crise additionnelle. La communication de crise doit être la “juste proportion entre la gravité de l’événement et la communication qui en est faite”. Cela implique un langage étudié, la capacité à renforcer les éléments pédagogiques et à fournir une “information froide et technique”, préparée en amont.

Anticiper, préparer, et savoir dire “Je ne sais pas”

La préparation est un maître mot. Il est crucial de prévoir une trame de communiqué de presse et de constituer des éléments d’information “froide”. La capacité à anticiper les questions futures et à intégrer cette démarche dans le quotidien des services est essentielle. Comme l’a rappelé le Préfet, les 52 Plans ORSEC (Organisation de la Réponse de SÉcurité Civile) mis en place permettent de travailler sur différentes typologies de crises sur le territoire, soulignant l’importance de ces exercices réguliers. Les dates anniversaires de crises passées sont aussi des moments clés de communication, offrant l’occasion d’apporter de nouveaux éléments ou de rappeler des faits.

Enfin, la soirée a abordé des points cruciaux pour les communicants : le “media training” ne remplace pas la capacité d’analyse de la situation et la définition d’une stratégie globale. Savoir quand dire “je ne sais pas” ou utiliser le “off” est une compétence délicate mais nécessaire. Il faut aussi savoir exprimer son mécontentement face à un manque d’informations.

En somme, cette table ronde a démontré que la communication de crise est un domaine en constante évolution, exigeant rigueur, coordination, transparence et une forte capacité d’adaptation. C’est un équilibre délicat, mais essentiel pour la protection des populations et la préservation de la confiance publique.