Le lundi 12 juin, grâce à la Métropole Rouen Normandie, nous étions accueillis en plein cœur de l’Armada, plus précisément au Pavillon des transitions pour notre journée événement “8h pour (re)penser les médias face à l’urgence climatique”. Alors que la manifestation avait elle-même pris des engagements en matière d’écologie et de développement durable, nous avons souhaité nous saisir de ce moment pour interroger confrères et consœurs sur leurs pratiques face à l’urgence environnementale. C’est ainsi qu’est née cette journée de réflexion et d’échanges autour de cette question.

Mieux comprendre pour mieux couvrir 
Notre événement a démarré à 9h15 par une table-ronde, animé par Michel Murlin, administrateur du Club, qui réunissait Juliette Quef, présidente de Vert le média, Thierry Rabiller, rédacteur en chef de Paris-Normandie, Édouard Reis-Carona, rédacteur en chef de Ouest-France et Éric Valmir, secrétaire général de l’information de Radio France.

Depuis septembre 2022, plusieurs médias français se sont engagés dans une démarche de journalisme écologique, en adoptant des initiatives majeures. Les échanges ont débuté sur la démarche initiée par Vert qui a porté une charte à la hauteur des enjeux climatiques à laquelle plusieurs médias et acteurs de l’information ont souscrit. Juliette Quef a rappelé la nécessité d’assumer ce genre d’engagement, comme contact tacite avec le lecteur ou l’auditeur, qui sait aussi dès ce moment qu’il choisit de soutenir plus que simplement de l’information.

Autre initiative avec Ouest-France qui a mis en place une charte élaborée par une équipe de journalistes, en collaboration avec le réseau Environnement, et en présence de scientifiques du Giec. Pour Édouard Reis Carona, le rédacteur en chef, l’objectif est de prendre en compte de manière crédible les enjeux environnementaux, en accord avec les connaissances scientifiques.

Radio France a également amorcé un tournant environnemental. Eric Valmir a rappelé que ce tournant commençait en adoptant des bonnes pratiques en interne et en renforçant la responsabilité sociale. Des formations ont été mises en place pour les journalistes, afin d’améliorer leur compréhension des sujets scientifiques et environnementaux et d’assurer un traitement adéquat de l’information.

Thierry Rabiller, rédacteur en chef de Paris Normandie, insiste sur l’intégration de la question environnementale dans tous les services journalistiques, en mettant l’accent sur le rôle des médias régionaux dans la recherche de solutions locales aux problèmes climatiques.

Les journalistes ont soulevé des questions importantes, notamment sur la manière de traiter le techno-solutionnisme. Une approche plus scientifique et une mise en avant des nouvelles voix de la recherche ont été suggérées pour garantir un traitement équilibré de l’information. La question de l’engagement des médias vis-à-vis des publicités a également été abordée ainsi que l’empreinte carbone.  Juliette Quef du média Vert, a soulevé la question des rituels populaires et des événements ayant un impact environnemental négatif. Elle a appelé à repenser ces pratiques voire à refuser de les couvrir, dans le but de sensibiliser davantage le public et de promouvoir des alternatives durables.

Enfin, ils ont pu évoquer la charge mentale importante qui pèse sur les journalistes travaillant sur l’écologie, en raison de l’abondance d’informations alarmantes et du manque d’engagement perçu de certains collègues.

Alors, en adoptant ces initiatives, les médias français se positionnent comme des moteurs du changement, apportant certaines réponses à l’urgence climatique et en sensibilisant le public à l’importance de préserver notre environnement.

Mers et océans, les grands oubliés des médias ?

À la suite de la table ronde, Carole Saout-Grit, océanographe et fondatrice du média Océans connectés et Stéphane de Vendeuvre, rédacteur en chef de Théragora et animateur des universités d’été Mer et Journalisme, ont échangé avec Julie Guesdon, administratrice du Club, sur le sujet des océans et de la façon dont ils sont abordés dans les médias.

Durant cet échange, ils ont souligné qu’effectivement, les mers et les océans sont des puits de ressources, le deuxième poumon de la planète après la forêt amazonienne. L’océan prend de plus en plus de place dans les médias lorsqu’il s’agit des impacts environnementaux. Cependant, il faut comprendre les causes et conséquences pour expliquer les impacts sur les espaces marins, et cela relève de la science. La science et le journalisme sont deux notions bien distinctes. Un scientifique est plus apte à expliquer les raisons de la pollution des océans qu’un journaliste. L’importance de la protection des océans est une notion qui fait désormais partie de l’inconscient collectif lorsque le développement durable et la protection de l’environnement sont évoqués. C’est pour cela qu’elle est mieux expliquée, que les gens y sont plus sensibilisés et que l’on en parle de plus en plus dans les médias.

Zoom sur la calculette carbone du Monde

Peut-on réduire le bilan carbone de ses productions d’articles et est-ce que ça a un impact sur le bilan global du média ? Au sein du journal Le Monde, le service vidéo a mis en place sa politique interne de réduction de l’impact des vidéos. Anna Moreau, journaliste vidéaste, a pu nous présenter le calculateur carbone du Monde « un bête tableur Excel » que l’on peut réutiliser riche d’enseignements.

Nous avons pu ainsi voir avec elle qu’un seul voyage en Outre-mer, même pour y faire plusieurs reportages, avait un bilan beaucoup plus lourd que tous les reportages réalisés en France métropolitaine. Que privilégier le train + une nuit d’hôtel à un aller retour en avion dans la journée marque une réelle différence et que cela peut s’argumenter auprès de la hiérarchie, surtout que les vols sont souvent à des prix défiants toute concurrence…

Bien s’informer est aussi important que bien manger

En début d’après-midi c’est Thierry Delacourt, journaliste et adhérent du Club, qui a animé la projection-débat « Les médias, le monde et moi », en présence de sa réalisatrice, Anne-Sophie Novel, journaliste, auteure et enseignante, spécialiste du traitement médiatique de l’écologie.

Après une brève présentation de la genèse de son documentaire tourné entre 2016 et 2019. Les participants ont visionné le long-métrage où elle partage son expérience, ses questionnements, et investigue les effets de la fabrique de l’information sur notre conception du monde actuel. En dressant des pistes de solutions illustrées de nombreux exemples, Anne-Sophie Novel part du principe que bien s’informer aujourd’hui devient aussi nécessaire que bien manger il y a vingt ans. Elle tend à dépasser les débats stériles qui nous empêchent de prendre de la distance vis-à-vis de l’actualité et de nous focaliser sur les vrais défis de notre époque. Elle prouve qu’il est possible de tracer de nouveaux chemins, de faire et de mieux participer, ainsi, au débat de société.

Le datajournalisme pour mieux raconter le climat

En fin de journée, Alice Palussière, datajournaliste et formatrice au Ouest Médialab, est intervenue pour parler de sa spécialité: le datajournalisme et la visualisation de données.

À l’heure où les changements climatiques s’accentuent et sont mondialisés, la vulgarisation des données récoltées est un enjeu majeur. Elle a ainsi présenté des outils pour aider les journalistes. Dont un mettant sur une même carte, à la fois les feux de forêt, les zones reboisées, ou encore les zones dédiées à la culture de la palme, et proposant ainsi une quarantaine de filtres possibles. Ainsi qu’une autre carte dynamique permettant aussi de suivre les flux de pêches et l’environnement marin. De précieux outils pour visualiser à l’échelle mondiale comme locale, les problématiques des changements climatiques.